Contrôle des chômeurs : quels sont les pouvoirs de Pôle Emploi ?
Le contrôle des chômeurs existe depuis longtemps en France. Il a été renforcé par un décret de 2018 et de nouveau fin 2020, par un nouveau décret renforçant les pouvoirs de Pôle emploi.
Quels sont les moyens mis en place pour contrôler les chômeurs ?
2008 : mise en place du contrôle des chômeurs
La notion de contrôle des chômeurs a été mise en place dans le cadre de la loi n°2008-758 du 1er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi. Cette loi a été mise en place par Laurent Wauquiez, le secrétaire d'État à l'Emploi à ce moment-là. La loi n°2008-758 prévoyait de radier de la liste des demandeurs d'emploi la personne qui "ne peut justifier de l'accomplissement d'actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise, soit sans motif légitime ou le refus à deux reprises d'une offre raisonnable d'emploi".
2013 : création des conseillers en charge des contrôles
Le contrôle des chômeurs est effectué par des agents Pôle emploi spéciaux se chargeant uniquement des contrôles. Avant cette expérimentation lancée en 2013 et généralisée en 2015, le contrôle des chômeurs était assuré par les conseillers référents en charge de l'accompagnement des chômeurs. Aujourd'hui, ils peuvent simplement signaler des dossiers qui semblent suspects. Fin 2018, cela représentait seulement 9% des inspections, selon Libération.
Dans un premier temps, les conseillers spéciaux analysent les dossiers des demandeurs d'emploi. La deuxième étape concerne uniquement les procédures de vérification. Les agents peuvent demander des justificatifs qui prouvent la recherche active comme l'envoi du curriculum vitae, d'une lettre de motivation ou les réponses des entreprises contactées. Ils peuvent également demander aux chômeurs de remplir un questionnaire de "contrôle recherche emploi" (CRE) de plusieurs pages sur leurs activités de recherche d'emploi des douze derniers mois avec la demande de justificatifs. Si les réponses ne sont pas jugées convaincantes, un entretien téléphonique peut avoir lieu. En cas de suspicion d'un statut non justifié ou usurpé, un contrôle à domicile peut être envisagé pour confirmer la fraude.
Depuis 2015, les visites ne font plus l'objet d'un rendez-vous. Le chômeur peut refuser l'entrée au contrôleur, mais il s'expose à des sanctions, voire à une radiation de Pôle Emploi.
Sanctions durcies avec la réforme de l'assurance chômage
Le contrôle des chômeurs a été étendu par la réforme de l'assurance chômage. Il est entré en vigueur après la parution au Journal Officiel du décret d'application 2018-1335 du 28 décembre 2018 relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d'emploi et au transfert du suivi de la recherche d'emploi :
- Ne pas se rendre à un rendez-vous de Pôle Emploi entraîne un mois de radiation des listes, deux mois en cas de récidive et quatre mois si cela se produit une troisième fois dans les deux ans
- Une recherche pas assez active ou le refus de deux offres considérées comme raisonnables entraîne un mois de radiation et la suppression de l'allocation, deux mois la deuxième fois et quatre mois la troisième fois.
La définition d'une "offre raisonnable d'emploi" est laissée à l'appréciation des conseillers de Pôle emploi.
2021 : renforcement du contrôle des chômeurs
Le contrôle des chômeurs a encore été renforcé par un décret paru le 31 décembre 2020, à la suite du projet de loi de finances adopté le 17 décembre 2020. Ce projet de loi prévoit un "droit de communication au bénéfice des agents chargés de la prévention des fraudes de Pôle Emploi" : les agents de Pôle Emploi peuvent avoir accès à un nombre conséquent d'informations personnelles, puisqu'ils ont le droit de demander des informations aux établissements de crédit et aux fournisseurs de gaz et d'électricité, ainsi que les relevés téléphoniques.
L'administration a précisé que les agents pouvaient obtenir "sans que s'y oppose le secret professionnel, notamment bancaire, les informations nécessaires pour contrôler, en cas de doute, l'authenticité des documents fournis et l'exactitude des déclarations faites en vue de l'attribution des allocations, prestations et aides de toute nature". Cela signifie que Pôle Emploi peut :
- "demander aux établissements bancaires les éléments permettant de vérifier qu'un montant précis a été versé sur un compte déterminé à une date ou pendant une période donnée au bénéfice du détenteur"
- "vérifier une domiciliation effective sur le territoire français [à travers des] virements, dépenses et ou versements depuis l'étranger qui constitueraient des éléments probants dans les cas de fraude à la résidence"
L'agence affirme qu'il s'agit de données objectives permettant de prouver l'existence d'une activité professionnelle non déclarée ou de vérifier qu'une activité professionnelle déclarée a bien été exercée.
Par ailleurs, un autre décret datant de novembre 2020 donne la possibilité à Pôle emploi d'accéder aux informations contenues dans le fichier Ficovie qui recense tous les contrats d'assurance-vie et de capitalisation souscrits auprès d'organismes d'assurance français. Dans les deux cas, les contrôles doivent être exercés exclusivement par 140 agents assermentés de Pôle emploi. Par ailleurs, ces informations ne peuvent pas être utilisées pour contrôler la recherche d'emploi ou récupérer des sommes indues.
Pôle emploi contrôle-t-il les chômeurs seniors ?
Les chômeurs seniors qui n'ont pas atteint l'âge de départ à la retraite sont soumis aux mêmes obligations. Pour continuer à percevoir leurs allocations, ils doivent justifier leurs recherches d'emploi.
Pour les plus de 55 ans, la durée d'indemnisation est de 36 mois. Pour les moins de 53 ans, cette durée est plafonnée à 24 mois. Les personnes de 53 et 54 ans ont droit à 30 mois d'indemnisation.
Comment Pôle Emploi contrôle-t-il les chômeurs ?
Pôle Emploi n'a pas toujours eu de moyen fiable pour savoir si les chômeurs inscrits sur ses listes avaient trouvé un emploi. La plupart du temps, les demandeurs d'emploi cessaient de s'actualiser et sortaient des chiffres du chômage. Néanmoins, l'administration ne savait pas exactement la raison de la non actualisation.
À la fin de l'année 2013, Pôle Emploi a reçu l'autorisation de recevoir les informations contenues dans les Déclarations préalables à l'embauche (DPAE) que doivent remplir les entreprises lorsqu'elles recrutent un salarié. Les conseillers sont désormais automatiquement informés via le logiciel interne de Pôle emploi de l'existence d'une déclaration d'embauche.
Les chômeurs restent tout de même obligés de déclarer toute reprise d'activité, même partielle ou sur un temps très court. Si avec ce dispositif les conseillers peuvent désormais utiliser les informations des DPAE pour contacter les chômeurs afin de leur demander de mettre à jour leur situation, la Cnil a interdit à l'organisme de sanctionner les chômeurs en se basant uniquement sur les déclarations de l'Urssaf : un conseiller doit nécessairement contacter le demandeur d'emploi.
Qui contrôle Pôle emploi ?
La Cour des comptes assure un contrôle sur la gestion et l'aspect financier de l'organisme. Son dernier rapport date de juillet 2020 et fait le bilan des dix années d'existence de Pôle emploi. Les auteurs du rapport relèvent que Pôle emploi "a mené une profonde transformation avec des moyens en croissance continue, tout en laissant subsister des gisements de temps de travail effectif et des pratiques de gestion des cadres dirigeants contestables. Si les objectifs fixés à Pôle emploi ont été atteints, ils ont manqué d'ambition. De manière générale, les résultats atteints en termes de retour à l'emploi devraient primer sur les autres indicateurs de performance".
À un autre niveau, le contrôle de l'organisme peut aussi être assuré par le médiateur de Pôle emploi. La médiation de Pôle emploi est constituée d'un médiateur national à la Direction générale et de médiateurs régionaux (un dans chaque région). Avant de la saisir, il faut au préalable avoir adressé une réclamation à Pôle emploi. La charte du médiateur national de Pôle Emploi précise que le médiateur remet chaque année au conseil d'administration "un rapport dans lequel il formule les propositions qui lui paraissent de nature à améliorer le fonctionnement du service rendu aux usagers. Ce rapport est transmis au ministre chargé de l'emploi, au Conseil National de l'Emploi mentionné à l'article L.51121 et au Défenseur des droits".
Pôle emploi dispose de pouvoirs étendus depuis la réforme de 2018. Auparavant, la suppression du revenu des indemnités chômage nécessitait une saisine du préfet. Désormais, cette décision se prend en interne, sans regard extérieur.
Quels sont les chiffres du contrôle des chômeurs ?
"Les chômeurs profiteurs qui vivent aux frais de la princesse" sont souvent critiqués par une partie de la classe politique. En 2011, Laurent Wauquiez avait notamment fustigé le "cancer de l'assistanat". En réalité, les chiffres montrent que l'abus d'allocations chômage est faible. La dernière grande étude de Pôle emploi sur la question date du 21 août 2018. Elle montre que 92% des chômeurs indemnisés et 81% des chômeurs non indemnisés sont en recherche active d'emploi. 14% des contrôles (il y en a autour de 10 000 par mois) aboutissent à une radiation dont 60% concernent des demandeurs d'emploi non indemnisés.
Les principaux motifs demeurent l'absence à un entretien, la fraude au statut ou des recherches d'emploi insuffisantes, voire nulles. Ce chiffre était déjà le même en 2016. Il montre aussi que si les ouvriers et les employés non qualifiés sont respectivement 17% et 15% à avoir été radiés, cela représente seulement 4% des cadres. Cette différence peut s'expliquer par une plus grande capacité à valoriser sa situation, mais aussi par un marché de l'emploi plus favorable et la possibilité de postuler à plus d'offres.
Dans un rapport de 2019, Pôle emploi estimait les fraudes aux allocations chômage (ARE) à 212 millions d'euros, sur 37 milliards d'euros de fonds versés.